Elizabeth II est morte ce jeudi après-midi à Balmoral, sa résidence préférée où elle aimait rassembler sa famille. Elles s’est éteinte « paisiblement et entourée de ses proches », annonce le Palais de Buckingham. Elle sera succédée par son fils ainé, l’ex Prince de Galles qui montera sur le trône sous le nom de Charles III.
L’Angleterre est orpheline : il suffisait, jeudi soir de regarder les chaînes britanniques pour se rendre compte que ce n'est pas seulement une expression convenue. Mais au-delà des frontières, nul doute que nombreux sont dans le monde ceux qui s’arrêtèrent un instant à l’annonce de sa mort. C’est qu’Elisabeth, qui restera comme le monarque ayant régné le plus longtemps à Londres était aussi le plus ancien chef d’Etat en exercice. Une figure familière pour nous tous.
Rien pourtant ne la destinait à régner. Elle n’était que la nièce d’Edouard VIII, quand ce dernier décida d’abdiquer en décembre 1936. Officiellement, il ne voulait pas régner sans la femme qu’il aimait, Wallis Simpson, une américaine divorcée. Mais ce mariage était impossible. En réalité, le départ d’Edouard VIII fut accueilli avec soulagement par ceux qui connaissaient ses sympathies pour l’Allemagne et sa proximité avec l’entourage d’Adolph Hitler. S’il était resté sur le trône, l’histoire de la Seconde guerre mondiale eut peut-être très différente. Ce fut donc le frère d’Edouard qui accéda au trône sous le nom de George VI.
C’est à lui que revint la lourde tâche de régner durant la guerre et cet homme timide et effacé se fit aimer de son peuple. Il refusa de se réfugier au Canada parce qu’il voulait rester avec son peuple, sous les bombes du Blitz. La mère d’Elizabeth, pressée de partir avec ses filles déclara alors : « Mes enfants n'iront nulle part sans moi. Je ne partirai pas sans le roi. Et le roi ne partira jamais. » Monarchie pour monarchie, je n’aurais pas la cruauté de souligner ici à quel point ce courage et cette dignité sont éloignés de ce qui fut, par exemple, l’attitude de Léopold III en Belgique.
Elizabeth, elle, s’engagea dans l’armée en février 1945 et reçut une formation de chauffeur-mécanicien, comme aimait le rappeler.
Le 6 février 1952, Georges VI meurt des suites d’un cancer du poumon et Elisabeth monte sur le trône. Harry Truman est alors président des Etats-Unis, Staline est toujours le maître de l’URSS, et Vincent Auriol est président de la France. Un autre monde. Tout au long de son règne de 70 ans, - le plus long de l’histoire du royaume – elle a connu quatorze présidents américains, dix présidents français et, dans son propre pays, pas moins de quinze premiers ministres, de Winston Churchill a Liz Truss, qui est entrée à Downing Street 48 heures avant son décès. C’est peu dire que son expérience de chef d’Etat était unique.
Monarque constitutionnelle, elle n’a évidemment jamais gouverné son pays ni exprimé publiquement d’opinion politique personnelle. Mais tous s’accordent à dire qu’elle eut sur ses premiers ministres successifs – comme sur certains milieux de pouvoir – une influence parfois importante qui ne fit que s’accroître au fil des décennies.
On ne saura jamais ce qui se dit lors des audiences hebdomadaires accordées aux chefs du gouvernement, mais on peut penser qu’elle savait, de temps à autre, d’une phrase ou d’un silence faire entendre son avis. On sait (ou on croit savoir…) par exemple qu’elle désapprouvait la « brutalité » de la politique sociale de Margaret Tatcher dont elle craignait qu’elle accentue les divisions de la société britannique.
Bien entendu, les tabloïds se souviendront de ses nombreux malheurs familiaux, de sa relation parfois difficile avec sa sœur aux errements du prince Andrew en passant, bien entendu, par les tensions avec la princesse Diana et l'échec du mariage de ses fils. Mais de tout cela, elle ne soufflait mot, faisant sienne la devise de sa famille : "Never complain, never explain".
Mais pour l’histoire, elle restera surtout celle dont le long règne fut marqué par de multiples crises. Ne citons, pour mémoire, que la décolonisation et la création du Commonwealth, l’’opération de Suez en 1956 (dont les préparatifs lui furent dissimulés), l’entrée dans la CEE en 1974, les trente années de troubles sanglants en Ulster, la guerre des Falklands, la guerre du Golfe, les attentats islamistes des années 2000 et les guerres en Afghanistan et en Irak et, bien entendu. le Brexit.
A ces tourments personnels comme à ces défis que devait affronter son pays, elle fit toujours face avec fermeté et avec un sens du devoir que tous lui reconnaissent. Dans les épreuves affrontées par son pays, elle sut, comme son père avant elle, incarner une forme de stabilité rassurante: à ces moments, elle était l'Angleterre, immuable, sûre d'elle-même et de son bon droit et fière de ses traditions.
Il y eut, bien entendu, des moments difficiles où la monarchie ne semblait plus en phase avec une société qui se transformait rapidement. Il en fut ainsi lors de la mort de Diana: le peuple britannique qui adorait la princesse et estimait, non sans raison, qu'elle avait été mal traitée ne comprit pas le silence de la famille royale. Dans les cinq jours qui suivirent l'accident de septembre 1997, Elizabeth resta cloîtrée à Balmoral, sans un mot. Elle ne revint à Londres que le sixième jour mais sut, alors, trouver les mots qu'il fallait pour communier avec ceux qui pleuraient "la princesse des coeurs". Ce fut, sans doute, la seule fois en sept décennies que la monarchie fut réellement ébranlée et c'est le tout nouveau Premier ministre Tony Blair qui parvint à convaincre la reine qu'elle ne pouvait rester de glace face à un drame qui traumatisait ses sujets.
Ceux qui la connaissaient expliquaient ce qui s'apparentait parfois à de la froideur tout à la fois par le poids du protocole - extrêmement rigide - et par la personnalité de la Reine: son éducation, son sens des traditions et, peut-être, une certaine timidité lui imposaient en toutes circonstances de maintenir une distance avec ceux qui n'étaient pas du premier cercle familial.
Pourtant, cette reine, montée sur le trône à vingt-cinq ans à peine, trouva l'intelligence de moderniser, par petites touches, l'institution royale. Au delà de la souveraine, et malgré l'énergie qu'elle montrait à protéger la part privée de sa famille, la femme apparaissait enfin. On la vie mère inquiète pour son fils, Andrew, engagé comme pilote d'hélicoptère dans la guerre des Falklands. Vingt-cinq ans plus tard, on devina ce que pouvaient être ses craintes quand son petit fils, le prince Harry partit à son tour pour la guerre, embarqué comme copilote et canonnier dans un hélicoptère Apache en Afghanistan. C'est là peut-être l'un des secrets de la popularité de la famille royale: contrairement à certaines "élites" européennes dont les membres ne s'exposent jamais au danger, les princes anglais, eux, n'hésitent pas à partager les risques de la guerre avec leurs concitoyens.
Elle fit également montre de son humour, typiquement britannique, bien évidemment. On la vit ainsi "sauter en parachute" avec James Bond (l'acteur Daniel Craig) lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 2012, une scène qui permit d'admirer ses sympathiques Corgis. Et à l'occasion de son jubilé de platine, au printemps dernier, le palais dévoila une vidéo dans laquelle elle prenait le thé avec... l'ours Paddington, dévoilant au passage le sandwich à la marmelade qu'elle cachait dans son sac à main. Des images improbables et en tout cas impossibles ailleurs qu'en Grande-Bretagne.
Elizabeth n'avait, certes pas, choisi sa vie, mais elle l'avait acceptée et pleinement assumé à chaque minute. Elle savait qu'accédant au trône, elle ne s'appartiendrait plus mais serait L'Angleterre. Pour le meilleur et pour le pire. Elle plaçait son devoir au dessus de tout et l'on peut dire qu'elle rempli les tâches de sa charge jusqu'à son dernier souffle: deux jours avant sa mort, elle recevait, à Balmoral, la nouvelle Première ministre Liz Truss. Pour tous, et pas seulement pour les Britanniques ou les citoyens du Commonwealth, elle fut un exemple de dévouement à la chose publique et à son pays. Ceci, et bien entendu l'attachement d'une majorité de ses concitoyens à la monarchie mais aussi et surtout à sa personne explique l'immense émotion que nous donne à voir la BBC et les autres chaînes britanniques comme les réseaux sociaux du monde entier.
Ce jeudi, donc, Elizabeth a rejoint le Prince Philipp dont on peut penser que la mort, le 9 avril 2021, après soixante-treize ans de mariage, fut sans aucun doute sa dernière grande douleur.
Sir Elton John (Elizabeth l'avait anobli en 1998) n'a pas été le dernier à lui rendre hommage: "Avec le reste de la nation, je suis profondément attristé d’apprendre la nouvelle du décès de Sa Majesté la Reine Elizabeth. Elle était une présence inspirante et a conduit le pays à travers certains de nos moments les plus grands et les plus sombres avec grâce, décence et une véritable chaleur bienveillante..."
Au-delà du souvenir et des hommages, la question qui se pose ce jeudi soir est évidemment de savoir ce que sera le règne de Charles III.
A près de 74 ans, Charles n’a évidemment pas une éternité devant lui mais son règne sera sans doute tout sauf de transition.
On lui prête, en matières sociales mais aussi pour tout qui touche à l’urbanisme, à l’environnement et au développement, des idées "avancées", voire révolutionnaires auprès de certains. Il est donc probable qu’avant de passer la main à son tour, il aura à cœur de continuer à moderniser la monarchie (un travail commencé par mère), mais aussi à user de son influence pour faire bouger certaines choses dans une période où Londres doit, comme toutes les capitales européennes, faire face non seulement aux dangers nés du retour de la guerre en Europe mais aussi à des changements géopolitiques majeurs et à une crise économique qui s’annonce destructrice.
Bref, comme diraient mes amis britannique : "The Queen has died, God Save the King".
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