L’aventure militaire irréfléchie de Vladimir Poutine aura des conséquences diverses et ses répercussions s’étaleront sur les années à venir, modifiant en profondeur le paysage stratégique européen et donc mondial. Mais j’ai d’ores et déjà une certitude: elle signera la fin de Vladimir Poutine.
Certes, il est tout à fait possible (« certain », disent nombre de spécialistes…) que le maître du Kremlin l’emporte militairement, mais à un prix élevé en termes humains. Les conséquences politiques et économiques de cette crise – la plus grave en Europe depuis la seconde guerre mondiale - seront dévastatrices pour la Russie et entraineront la chute du dictateur.
La seule « chance » de Poutine était en effet une victoire rapide et totale : la prise de Kiev en moins de 48 heures et la décapitation de l’Etat ukrainien auraient installé un fait accompli. Il n’aurait certes pas été accepté de gaieté de cœur par la communauté internationale, mais qu’aurions-nous pu faire à partir du moment où il était évident pour tout un chacun que l’Otan n’engagerait pas de troupes sur le terrain ? Par la suite, l’installation d’un gouvernement fantoche, l’organisation éventuelle d’un référendum truqué, une « finlandisation » de l’Ukraine auraient ramené une forme de « normalité » et la realpolitik aurait fait le reste. Mais il n’en est rien.
Avant d’aller plus loin, examinons tout d’abord les différents scénarios militaires possibles :
1- Les « négociations » entre Kiev et Moscou aboutissent : l’Ukraine cède aux demandes russes (reconnaissance de l’appartenance de la Crimée à la Russie, démilitarisation, etc.) et toute résistance armée cesse. Les positions des deux parties étant inconciliables, ce scénario est fort peu probable (mais pas totalement impossible, si la pression militaire russe et les pertes civiles devenaient insupportables). Par ailleurs, des armes ayant été distribuées à la population, les troupes russes devraient probablement faire face à une longue guérilla.
2- « Victoire » militaire russe totale et rapide: Kiev tombe, le gouvernement ukrainien est renversé (et ses membres éventuellement éliminés physiquement) et remplacé par un exécutif fantoche à la botte de Moscou. Ce scénario est malheureusement possible mais de moins en moins probable. L’hypothèse de l’apparition d’une guérilla ukrainienne, en tout état de cause, resterait valide.
3- Moscou assure son emprise sur une partie du pays (dans l’Est, le Nord y compris Kiev, une partie du Sud proche de la Crimée) mais le reste de l’Ukraine demeure sous le contrôle de l’armée ukrainienne. La guerre s’enlise et les affrontements continuent sur la ligne de front tandis que la guérilla s’installe dans les territoires occupés par la Russie. Scénario possible, voire probable.
4- Sous la pression internationale et soumise à des sanctions qui la laminent et provoquent des troubles sociaux dans les grandes villes russes et l’éloignement de Poutine d’une grande partie des oligarques qui le soutenaient jusqu’à présent, la Russie recule et met fin unilatéralement aux actions militaires pour privilégier une « solution politique » actuellement difficile à entrevoir. Scénario aujourd’hui hautement improbable.
5- L’armée ukrainienne renverse la situation et, après avoir contenu l’offensive russe obtient une victoire sur le terrain. Scénario également hautement improbable vu la disproportion des forces et que je ne cite, donc, que pour mémoire.
6- La situation échappe à tout contrôle et Vladimir Poutine choisit la fuite en avant et réalise sa menace d’utilisation de l’arme nucléaire. On entrerait là en zone totalement inconnue.
Bref, sauf surprise, nous sommes partis pour une guerre qui, sous une forme ou l’autre – conflit ouvert entre deux armées ou guerre de guérilla – sera probablement longue. Or, le temps joue contre Vladimir Poutine.
Quel que soit le scénario qui finira par se dégager, on voit donc bien que, militairement parlant, rien ne sera réglé : dans tous les cas de figure, la Russie devra, a minima faire face à une longue période d’instabilité et de guérilla sur le terrain.
Si les morts et les blessés s’accumulent, ce conflit qui est déjà fort peu populaire sera de plus en plus rejeté par la population russe. Et ce d’autant que les Russes sont culturellement, « ethniquement » proches des Ukrainiens : il s’agit de deux peuples slaves dont l’histoire est entremêlée ; on ne compte pas le nombre de mariages « mixtes », de Russes ayant des parents, frères, sœurs ou cousins « de l’autre côté ». Bref, la guerre en Ukraine n’est comparable ni à la guerre en Afghanistan ni à la guerre en Tchétchénie : ici, ce sont deux peuples slaves qui s’affrontent. Une situation certainement difficile à vivre pour les soldats russes et impossible à accepter pour la société russe.
Par ailleurs, quand les sanctions économiques commenceront vraiment à faire sentir leurs effets, la situation économique sera de plus en plus tendue en Russie et donnera lieu à des troubles sociaux que le pouvoir aura évidemment la tentation de réprimer par la force, seule réponse qu’il connait, depuis des années, face à toute forme de contestation. Il s’isolera ainsi encore un peu plus au plan intérieur. Et à cette colère venue de la base, s’ajoutera celle de la nouvelle « nomenklatura » russe, cette couche d’oligarques et de hauts fonctionnaires qui, jusqu’à présent, ont largement profité du régime en place mais qui, aujourd’hui, est frappée de plein fouet par les sanctions. Il est loin d’être certain que Vladimir Poutine et son proche entourage puissent résister longtemps à cette double pression intérieure.
Au-delà de la situation militaire, ces réalités culturelles et économiques forment la deuxième raison pour laquelle le Kremlin perdra cette guerre.
Mais Vladimir Poutine est également en train de perdre parce qu’il ne peut atteindre ses principaux buts de guerre. Quels étaient-ils ?
On peut distinguer probablement, deux buts de guerre principaux et deux qui sont secondaires.
Au plan principal : d’abord porter le coup de grâce à l’Otan et, ensuite absorber l’Ukraine vue par le maître du Kremlin et les ultra-nationalistes russes comme un état artificiel. Au plan secondaire : assurer la « protection » (voire l’intégration dans le continuum russe) du Donbass, confirmer l’appartenance de la Crimée à la Russie et créer une continuité territoriale entre le Donbass, la Crimée et peut-être même la Transnistrie, cette région autonome russe de Moldavie.
Force est de constater que les deux buts de guerre principaux ne seront pas réalisés. Non seulement l’Otan ne s’est pas "couchée" devant la volonté impériale russe mais on peut même dire sans risque de se tromper qu’elle ne s’est jamais portée aussi bien depuis trente ans, démontrant son utilité première qui est d’assurer la protection de l’Europe.
L’Union européenne elle-même s’est ressoudée autour de la solidarité avec Kiev, entre autres en décidant d’investir des centaines de millions d’euros dans la fourniture d’armes (du jamais vu !) au régime légal en place en Ukraine.
Pire (du point de vue russe) : la Suisse (neutre, comme on le sait) a décidé d’appliquer intégralement les sanctions de l’U.E., la Suède qui n’est plus neutre depuis 2009 mais continue à refuser de livrer des armes à un pays en guerre a rompu avec sa doctrine et participe aux livraisons militaires. Et la Finlande, qui appliquait une doctrine identique, a pris la même décision historique. Pensant porter un coup fatal à l’Alliance atlantique, Vladimir Poutine vient donc de lui donner une deuxième jeunesse et une nouvelle attractivité, mais également de donner un coup de pouce appréciable à la construction d’une défense européenne dont il ne voulait pas entendre parler.
Pour ce qui est de « l’inexistence » d’une nation ukrainienne, les faits parlent d’eux-mêmes : le formidable esprit de résistance du peuple ukrainien apporte un démenti cinglant à cette vision méprisante.
Enfin, même si tout tournait au mieux pour Moscou, JAMAIS la communauté internationale n'acceptera le fait accompli en Ukraine. La Russie aura "gagné", certes, mais elle sera totalement isolée politiquement (et physiquement) et laminée économiquement. Ce qui nous renvoie aux questions économiques évoquées ci-dessus.
En fait, tout se passe comme si Vladimir Poutine après un quasi sans-faute qui a duré près de vingt ans, malgré tous les abus et crimes de son régime, avait fini, comme beaucoup de dictateurs, à croire à ses propres mensonges : l’Otan est faible, les démocraties sont lâches, le peuple Ukrainiens ne rêve que d’une unification avec le grand frère russe.
Mais comme pour ses prédécesseurs, le principe de réalité remet les choses à leur place.
C’est pour toutes ces raisons que, quelle que soit l’évolution de la situation militaires sur le terrain (et je reviendrai dans les jours à venir sur ce point, entre autres pour analyser les forces et faiblesses de l’armée russe), que Vladimir Poutine a d’ores et déjà perdu.
Cela prendra des mois, ou, peut-être, des années, mais l’histoire dira un jour que la guerre en Ukraine a entraîné la chute de Vladimir Poutine.
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