Ce que l'on sait du militaire d'ultra droite considéré comme extrêmement dangereux recherché depuis 4 jours, et surtout les caractéristiques propres à son métier, permettent de tenter de dresser son "profil".
Les recherches du militaire d’extrême droite Jürgen Conings en sont à leur quatrième jour et se concentrent toujours, pour l’essentiel sur le Limbourg, où il résidait, et sur le parc naturel Hoge Kempen). Jeudi 20 mai, on l’a aussi, brièvement, recherché à Louvain où il avait été « aperçu », mais en vain. Malgré des moyens policiers et militaires massifs, l’utilisation de chiens pisteurs des brigades K9 et d’un hélicoptère et les renforts venus des Pays-Bas, d’Allemagne et du Luxembourg, l’homme reste introuvable.
Dans le cadre de l’Esisc (European Strategic Intelligence and Security Center, www.esisc.org ), je me suis livré à une tentative de profilage de l’homme le plus recherché de Belgique, sinon d’Europe. Le tout se basant sur les informations publiquement accessibles et sur des conversations avec des sources ayant une bonne connaissance du dossier.
Le profilage n’est pas une science exacte, mais ce qui ressort de cet exercice est interpellant. Et inquiétant.
D’abord les faits
Jürgen Conings a disparu lundi après avoir émis des menaces contre Marc Van Ranst, un virologue en vue (depuis les débuts de la crise du Covid-19), et, d’après les médias relayant les informations du parquet fédéral, contre plusieurs institutions et personnalités symbolique de l’Etat et de l’autorité. Il a également laissé plusieurs lettres allant dans le même sens et évoquant même un « affrontement » souhaité avec les forces de l’ordre.
Sympathisant des idées de l’ultra droite, décrit par certains comme raciste, violent, « antisystème » et « antivaccin », Conings était fiché depuis plusieurs années par les services de renseignement belges, d’après nos informations, il l’était au moins par les militaires du SGRS, peut-être par la Sureté de l’Etat (VSSE, renseignement militaire).
Engagé très jeune, vers 18 ans, il a passé une trentaine d’années dans l’armée et s’est rapidement qualifié comme tireur d’élite. Tout à la fois instructeur et « sniper » opérationnel (il n'y en a que 20 à 30 dans toute l'armée belge) , il a accumulé une grosse expérience des théâtres d’opération, au cours de nombreuses missions en Bosnie, au Kosovo, au Liban, en Irak et en Afghanistan. Il est décrit par mes sources militaires comme « l’un des meilleurs snipers de sa génération ».
Il est manifeste par ailleurs que, même si le début du « passage à l’acte » a peut-être été déclenché par un coup-de-tête ou un évènement traumatique dans sa vie personnelle (ceci restant à déterminer), son projet de rupture avec la société murissait sans doute depuis longtemps : Conngs a accumulé armes, munitions et explosifs (entre autres des grenades à main) et au moins quatre « blindicides » (missiles portables antitanks).
Les conditions dans lesquelles il a pu avoir accès à ces armes et (surtout) les sortir des installations militaires restent d’ailleurs à déterminer et les « explications » assez courtes et lamentables de la ministre de la Défense n’apportent aucune réponse à cette question. Sinon qu’on devine qu’il y a eu, au niveau de l’armée des failles inimaginables (plutôt que « failles » on devrait plutôt parler, de « béance », comme celle à l’origine du naufrage du Titanic…)
Sa voiture, contenant une partie de l’arsenal avec lequel il s’était évaporé (dont 4 lance-missiles antichars) avait été retrouvée mardi. L’intervention du service de déminage avait été requise, le véhicule ayant été piégé par une grenade à main.
Une source proche de l’enquête affirmait ce jeudi matin à ESISC-WTW que Conings « était encore en possession de plusieurs armes, dont très certainement au moins une arme de poing automatique et un pistolet mitrailleur, d’un nombre indéterminé de munitions et peut-être de grenades à main… »
Tentative de profilage
Jurgen Conings, s’il est bien le « sniper d’élite » qui nous est décrit est forcément un homme froid, calculateur et méticuleux : le sniper expérimenté prend son temps pour choisir son poste de tir, son arme et les munitions à utiliser ainsi que pour sélectionner ses cibles.
En excellente forme physique (ainsi qu’en témoignent les images diffusées dans les médias) il est également doté d’un « mental » très fort. La patience est l’une des caractéristiques premières des tireurs d’élite qui sont parfois amené à attendre 10 ou 12 heures, sans bouger ni se faire repérer, l’ouverture du « créneau » qui permettra son tir.
Autre caractéristique : la capacité à anticiper et à prendre en compte et gérer de multiples paramètres : distance taille et déplacements éventuels de la cible, force du vent, humidité de l’air et même rotation de la terre pour les tirs à très longue distance (plus de 1000 mètres), rythme de sa propre respiration et rythme cardiaque. Il doit avoir de plus, la capacité d’analyser ses paramètres à la fois dans le « temps long » (préparation du poste de tir) et dans le temps court : prise en compte immédiate au moment d’exécuter le tir.
Enfin, le sniper est habitué à « travailler » seul ou en binôme, avec un « spotter » (observateur) dans lequel il doit avoir une confiance totale au point que les deux hommes finissent par se fondre dans une seule machine à tuer. Et il est également, bien entendu, habitué à travailler en territoire hostile, parfois derrière les lignes ennemies
Du point de vue psychique, toutefois on remarquera que les snipers peuvent avoir tendance à développer deux désordres mentaux : d’abord une grande froideur et une indifférence à la mort qui est infligée de loin, délibérément, en choisissant sa cible et en l’observant un certain temps avant de tirer, ce qui n’est pas une situation de combat classique. Le Sniper ne tue pas sous l’effet de l’adrénaline ou pour protéger sa vie : il planifie et exécute, pour lui, tuer est un acte purement technique et détaché de toute émotion.
Ensuite, peut se développer une certaine mégalomanie : s’il a le choix entre plusieurs cibles, c’est le sniper qui décide qui va vivre et qui va mourir. Il est, l’espace d’un instant « Dieu ».
Ces deux tendances peuvent, enfin, s’accompagner d’un sentiment d’invulnérabilité : agissant à plusieurs centaines de mètres (jusqu’à 1500 mètres pour les tireurs d’exception) de la cible, le sniper peut se sentir « hors d’atteinte » et « protégé ».
Voilà l’homme qui a été propulsé, en vingt-quatre heures à la place « d’ennemi numéro 1 » de la Belgique.
Anticiper les mouvements de Jrgüen Cunings
Ce profilage sommaire ne serait qu’un jeu intellectuel amusant s’il n’aidait pas à anticiper les mouvements de l’intéressé.
J’avance ici quatre hypothèses classée de la moins probable à la plus probable :
1ère hypothèse : Cunings s’est suicidé ou va se suicider. C’est évidemment possible mais peu probable: cela ne cadre ni avec les caractéristiques mentales que l’on peut déduire de sa formation ni avec la préparation du passage à l’acte (accumulation des armes, etc). Toutefois si l’importance du déploiement de forces qui le traquent rendait sa « mission » impossible ou s’il était cerné et dans l’incapacité de s’échapper, cette possibilité deviendrait très réelle, mais il est alors probable qu’il choisirait la solution du « suicide par policier » (« suicide by cop », voir hypothèse numéro 3)
2ème hypothèse : Il est déjà passé à l’étranger. C'est peu probable : son ancrage est en Belgique, de même que les cibles qu’il semble vouloir atteindre. A prendre en compte toutefois si l’étranger est une solution de repli de courte durée avant de revenir pour passer à l’action.
3ème hypothèse: Il est effectivement retranché dans sa région et y attend les forces de l’ordre en vue d’un « baroud final » qui équivaudrait, pour lui, à un « suicide par cop ».L' hypothèse est crédible.
4ème hypothèse : Il est resté dans la région ou non et s’apprête à passer à l’acte contre une cible choisie. Comme Mar c Van Ranst, placé sous protection, n’est plus une option, il pourrait se replier sur une cible « symbolique » (politique ou autre, depuis la scène belge à l’Union européenne, honnie par l’ultra droite) ou « naturelle » (pour les extrémistes de droite) : communauté musulmane communauté juive, milieux « alternatifs », etc.
Il aurait, alors, laissé sur place des indices pour « fixer » ses poursuivants afin que les recherches se focalisent sur la région, lui donnant toute latitude de se déplacer.
Dans l’intérêt de l’enquête et de la protection de la sécurité publique, c’est cette hypothèse qu’il convient, jusqu’à preuve du contraire, de privilégier.
Un point, au passage, à prendre en considération : « antivaccin », Conings était basé à la caserne de Peutie où sont entreposés les millions de masques inutiles parce que non adaptés achetés par la Belgique pour faire face à la pandémie au début de la crise sanitaire. Il a ainsi pu toucher du doigt les insuffisances et les gaspillages d’un Etat qu’il a servi mais qu’il méprise et rejette aujourd’hui.
Reste 2 éléments à peser : activement recherché dans un pays densément peuplé, sa photo et son signalement ayant été largement diffusés, Cunings sait qu’il doit agir vite ou, au contraire, trouver un point de repli et y attendre que la tempête se calme avant d’en sortir pour frapper.
Mais cette dernière possibilité impliquerait presque certainement qu’il ait un complice capable de l’héberger (et donc partageant ses idées), il aurait ainsi, symboliquement formé ou reformé le « binôme » avec le spotter qui est peu sa famille à lui. Dans ce cas, il ne peut s’agir, vu les caractéristiques qui ressortent de son profilage, que d’une personne dans laquelle sa confiance est absolue, ce qui réduit le champ des investigations.
Reste à savoir si Jürgen Cunings est parti « en mission » (qu’il s’est lui-même donnée) ou s’il a décidé de livrer son dernier combat dans une forêt du Limbourg.
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