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« Jeunes » radicalisés et adolescents djihadistes: Pourquoi et Que faire ?


« Le paradoxe de la condition humaine, c’est qu’on ne peut devenir soi-même que sous l’influence des autres »[1].


Boris Cyrulnik


Cet article pourra surprendre sous ma plume : je suis conscient d’avoir l’image d’un « faucon » ou même d’un « éradicateur », comme disent mes amis arabes engagés dans la lutte contre le djihadisme et/ou contre l’islam politique. Cette image correspond en partie à la réalité : toute une vie – 40 ans quand même…- passée à observer (parfois de très près, en zones de guerre ou sur des terrains de djihad) et à analyser la violence du monde ne prédispose pas particulièrement à l’angélisme ni à avoir des auteurs de faits criminels une vision « bisounours ».


- « D’où » je parle ?


Mais je suis aussi, depuis de nombreuses années, un « militant » laïque, qui dans la droite ligne de la tradition républicaine française ne cache pas son affiliation à la franc-maçonnerie. Or, la FM se veut héritière et porteuse des Lumières et, donc, vecteur de sens et de progrès. Notre rôle est donc, aussi, de poser des questions et de contribuer au grand mouvement de la réflexion qui, seul, peut contribuer à libérer l’humanité de l’obscurantisme et de l’oppression.


Et puis, j’ai moi-même (mais si…) été un adolescent, et particulièrement « turbulent », j’aurais pu basculer dans l’irréparable : j’ai raconté, dans l’avant-propos de mon premier livre sur le terrorisme, publié il y a une vingtaine d’années, mes études arrêtées sans diplôme à 16 ans, et ma dérive vers l’extrême-gauche violente[2]. On me permettra de me citer, brièvement : « J’étais aussi un révolté, un rebelle, un enragé. « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » a dit le poète. Malheureusement, nous, nous étions sérieux. Mortellement sérieux. Du haut de notre adolescence qui nous donnait tous les droits, nous jugions le monde et les adultes. Il était moche et injuste ; ils avaient échoué à le changer. Nous, bien sûr, nous allions réussir […] Je devrais ajouter que j'avais soif d'action […] je me suis donc rapproché des franges les plus extrêmes du gauchisme et, en rupture de ban, m’éloignant d’organisations traditionnelles qui me semblaient sclérosées, je me suis lancé dans l’aventure autonome. Par son radicalisme, par sa violence, elle était porteuse d’absolu: plus de mots mais des actes! Enfin... C’est par l’autonomie que je me suis rapproché de l’extrême gauche armée. Je connais bien ceux que je présenterai dans les chapitres de ce livre consacrés à ce que les experts ont nommé, depuis, l’Euroterrorisme: j’ai été l’un d’eux. Je le confesse, aussi grotesque et tragique que me paraisse aujourd’hui leur pitoyable odyssée, j’étais fasciné par les jeunes hommes et les jeunes femmes de la Fraction Armée Rouge et des Brigades Rouges et, même, par certains des prédécesseurs d’Action Directe en France. Ainsi, de fil en aiguille, de rencontres en services rendus, je me suis enfoncé dans cette nuit violente qu’ont été les « années de plomb ». Ce ne fut pas, à proprement parler, un choix mais une suite de coup de pouce du destin, de débats, d’actions plus ou moins « dures ». […] J’avais l’impression d’être un héros, un véritable révolutionnaire, comme ces « Tupamaros » d’Amérique latine dont je lisais les exploits dans des livres. Je me sentais l’un d’eux. Et je n’étais rien d’autre qu’un jeune imbécile. Car si je ne me trouve qu’une excuse, c’est bien celle-ci : l’âge. Cet âge qui faisait de moi (et de tant d’autres) le sujet idéal de toutes les manipulations. La chance (le destin ?) a voulu que je n’aie rien commis d’irréparable. Le sous-groupuscule auquel j’appartenais plus directement s’attaquait à des symboles et à des briques, pas à des êtres humains. Nous étions plus près, par nos actes des « casseurs » (mais en plus structurés, en plus déterminés, en plus violents) que des tueurs. »


C’était une autre époque, une autre idéologie, une autre révolte, mais, même si – bien évidemment – je condamne sans réserve aussi bien les actes atroces commis par les djihadistes que l’idéologie mortifère qui les sous-tend, une idéologie que je dénonce et combats sans relâche depuis 25 ans, comme, du reste, toute autre idéologie extrémiste, qu’elle soit de droite ou de gauche, je tente aussi de comprendre ce qui amène un gamin à tuer au nom d’une idée et à détruire non seulement sa vie mais celle d’une multitude d’inconnus qui, par définition sont autant d’innocents.


Qu’on me comprenne bien : je ne mets pas sur le même pied auteurs et victimes. Mais ce que je dis, c’est que si l’on tentait de mieux comprendre les motivations et la dynamique des auteurs, il pourrait y avoir (beaucoup) moins de victimes.


Peut-être le temps est-il venu, aujourd’hui, de tirer quelque chose de constructif de cette expérience destructrice de ma jeunesse en tentant de lancer un débat : que faire face aux adolescents « radicalisés » ou djihadistes ?


Ce texte, c’est une bouteille à la mer. C’est aussi un cri de colère – mais non de désespoir – et un rejet des solutions et idées simples, car il ne peut exister de solution simple à un problème complexe.


Ni plus, ni moins.


- Un tueur de 18 ans…


C’est évidemment l’âge de l’auteur de l’attentat de Paris, vendredi dernier, qui a suscité cette réflexion : « Ali H » dit être âgé de 18 ans et même s’il a peut-être menti lors de son arrivée en France[3], en 2018, pour bénéficier du statut de « mineur non accompagné », il n’a, certainement, guère plus.


18 ans ! A l’âge ou beaucoup de ses contemporains entament des études supérieures, vident leurs premiers émois amoureux ou songent à s’engager durablement, ou passent leur permis de conduire, bref mènent une vie banale et pavent le chemin de leur avenir, Ali H., lui, a commis un acte terrible qui réveille les traumatismes d’une société durement frappée par le terrorisme depuis 2015 et a bouleversé, peut-être à jamais, la vie de ses deux victimes qui resteront marqués d’avoir frôlé la mort. Pour rien. Pour être sorti en « pause cigarette » sur le pas de la porte d’un immeuble ayant abrité la rédaction de Charlie Hebdo jusqu’au massacre du 7 janvier 2015.


Mais, par son acte fou et inexcusable, Ali H. a aussi détruit une autre vie : la sienne. A l’âge des projets et des rêves lui entre dans le cauchemar d’une vie derrière les barreaux, avec très peu ou pas de perspectives de libération[4].


Ce n’est toutefois pas à lui que je m’intéresserai ci – sur l’attentat lui-même, on se reportera à mon article d’hier que l’on peut trouver ici), ni d’ailleurs aux très jeunes djihadistes vivant hors d’Europe ou en étant récemment arrivés : leur imprégnation culturelle, leurs expériences et conditions de vie peuvent induire des attitudes et des comportements qui nous échappent – que peut penser, par exemple, Ali H., arrivé il y a deux ans d’un pays où le blasphème est puni de mort de notre débat sur le « droit au blasphème » ? Et notre influence sur eux, de toute façon, est à peu près inexistante. Non, mon thème de réflexion, c’est la jeunesse « européenne », celle dont nous sommes directement responsables.

- Qui sont les jeunes radicalisés européens ?


En 2013 – avant, donc l’attentat du Musée juif de Bruxelles et l’irruption de l’organisation Etat islamique (EI) sur la scène terroriste, je m’étais livré à une étude statistique et de profilage sur une trentaine de terroristes djihadistes (un échantillon évidemment peu représentatif mais sur lequel nous disposions données personnelles précises) nés et élevés en Occident[5].


J’écrivais à l’époque : « la marginalisation sociale joue un rôle incontestable dans la formation intellectuelle et psychologique des futurs radicaux : treize de nos trente djihadistes proviennent de familles déstructurées ou peu aimantes, quinze ont eu une mauvaise scolarité, six ont connu des problèmes de stupéfiants et sept sont d’anciens délinquants. Mais un tiers de ces extrémistes violents sortent de familles unies et ont eu une scolarité satisfaisante ou, parfois brillante, conduisant dans certains cas à l’obtention de diplômes universitaires ».


Au passage, mais ceci est un autre débat, je constatais que la conversion en détention ne conduisait par particulièrement (malgré une idée reçue) à la violence djihadiste ni même à l’intégrisme religieux.

L’irruption de l’EI, sa montée en puissance et l’éviction de fait presque totale d’al-Qaïda à son profit à quelque peu fait évoluer le « profil type » du « djihadiste européen » (qu’il soit, originellement de culture musulmane ou qu’il soit converti).


Si al-Qaïda était une organisation au recrutement relativement « élitiste » (pour rappel, tous les terroristes du 11 septembre 2001 provenaient de milieux aisés, poursuivaient des études supérieures en Europe et avait été élevés dans une pratique religieuse parfois rigoureuses mais, surtout, traditionnelle), l’EI, lui fait flèche de tout bois et ne recule pas devant l’utilisation d’une « main d’œuvre kleenex » formée de jeunes marginaux, parfois convertis, dont la majorité n’a jamais lu sérieusement le Coran et serait incapable de citer les « 5 piliers »[6] de l’islam.


En conséquence, le « djihadiste européen » de 2020, est, le plus souvent issu de milieux défavorisés, a été peu scolarisé (sa famille étant souvent incapable de l’accompagner ou peu motivée à le faire) et a été « cabossé » par la vie de diverses manières.


Il est aussi beaucoup plus jeune : en 2000, son âge moyen oscillait entre 27 et 32 ans ; 20 ans plus tard, il va, le plus souvent, de 18 à 22 ans, certains pouvant même n’être âgés que de 13 à 16 ans. Bref, il a l’âge de nos enfants.


- Un recrutement différencié


Suivant que la « cible » soit éduquée ou non, émotionnellement stable ou pas, les recruteurs du djihad vont utiliser un discours différencié.


Aux premiers, les intellectuels (sauf exception, davantage recherchés par al-Qaïda que par l’EI), on fera souvent valoir qu’ils jouissent d’une vie confortable alors que le monde musulman est en guerre et « soumis à l’oppression ». Schématiquement : « Toi, tu as une belle voiture, tu fais ou tu as fait des études, tu as une vie confortable, tu peux te marier et créer une famille… Mais penses-tu à tes frères de Palestine opprimés par les "sionistes" ou d’Afghanistan, d’Algérie, du Maroc, de Syrie, dominés par des apostats corrompus ou massacrés par les kouffars[7] et les croisés ? »


C’est ce que le chercheur français Farhad Khosrokhavar a appelé[8] « l’humiliation par procuration » qui vise à implanter dans l’esprit la haine d'un Occident arrogant et imaginaire et à favoriser la redécouverte d’un islam mythique et menacé.


Avec les seconds, les « marginaux », les « cabossés », les recruteurs développeront plutôt un discours basé sur l’empathie, la déresponsabilisation et la « création de sens ».


L’empathie, d’abord. J’ai, au court des vingt-cinq dernières années, parlé avec un grand nombre de jeunes radicaux en Europe (entre autres en France, en Belgique, en Suisse ou en Bosnie), qu’ils soient convertis ou musulmans d’origine et qu’ils soient proches du djihad ou davantage engagés dans le « salafisme piétiste »[9]. Une part d’entre eux étaient des convertis, d’autres des musulmans de naissance qui avaient été marginalisés et s’étaient « réislamisés » dans les cercles salafistes.


Une phrase, presque un leitmotiv, revenait régulièrement : « la première fois que je suis entré dans une mosquée, j’ai eu l’impression, enfin, d’avoir la famille que je n’avais jamais eue. C’était chaud, c’était solidaire, c’était fraternel, enfin, on faisait attention à moi. Je n’étais plus un raté ou un voyou, j’étais un être humain et on me traitait comme tel. »


Pour des gosses qui ont toujours été privés d’amour, voire qui ont été battus ou abusés, cette rencontre avec « l’amour » familial, cette « chaleur » soudain éprouvée est quelque chose d’énorme.


Que peut chercher d’autres que de l’amour ou une famille, un cocon dans lequel se blottir bien au chaud, un jeune qui a été frappé, humilié, qui a, peut-être vu ses parents ramener ses sœurs mineures au « bled » pour les marier à, un cousin ou à un ami qui aura deux fois son âge ? Et quelle vision peut-il avoir du monde et de notre société qui n’était pas là quand il avait besoin d’être protégé ?


Que peut chercher d’autres qu’une écoute – en apparence sincère, empathique et attentive – un gamin qui pour la première fois de sa vie souvent, aura l’impression qu’enfin « on s’intéresse à lui », que son avis compte et qu’il est un être humain à part entière et pas un « accident de la vie » ou un objet ?


Vient ensuite la déresponsabilisation : si le sujet est en situation d’échec scolaire ou professionnel un ancien délinquant ou un ancien toxicomane, on lui dira : « ce n’est pas ta faute, tu es dans cet état parce que tu es musulman et c’est parce que tu es musulman que la société qui ne te respecte pas ne t’as pas donné ta chance…»


Interviendra maintenant la « création de sens » : loin de lui expliquer que l’islam peut-être une belle religion, au même titre que les autres, on lui inculquera l’idée qu’elle est la SEULE vraie religion et qu’elle a vocation à s’imposer au monde pour y établir ce règne de la justice qui a fait défaut au jeune soumis à ce véritable « lavage de cerveau ». De là, progressivement, on glissera vers la nécessité de travailler à cette « révolution » pour s’éloigner (salafisme piétiste) de cette société vide de sens et ultra-matérialiste ou pour la détruire (salafisme djihadiste).


L’évolution des jeunes peut-être extrêmement rapide : on a connaissance de cas, en France, de jeunes gens qui se retrouvent en partance pour des zones de djihad quelques semaines à peine après avoir intégré des « cellules djihadistes ».


Une remarque : cette création artificielle d’une « famille » - ou plutôt d’une « illusion de famille » - et cette manipulation mentale, on les retrouve également dans les sectes religieuses. Le mécanisme est le même : approche, séduction attraction, inclusion, lavage de cerveaux et exploitation de la nouvelle recrue. Dans la secte, ce sera au profit (le plus souvent financier) d’un gourou, dans le djihad, dans celui de « la cause » : l’établissement du « règne de dieu sur terre ». Un certain nombre de convertis européens qui ont basculé dans la violence auraient probablement, il y a 30 ans, été les adeptes des « Enfants de Dieu », de « Moon » ou du « Temple solaire ». La seule différence étant qu’en définitive, il n’auraient détruit « que » leurs vies et leurs familles.


- Que faire ?


D’abord il faut poser un constat clair et précis, même s’il est douloureux : si tant de jeunes européens sont aujourd’hui, aspirés par la mouvance salafiste, c’est que la société a échoué. C’est-à-dire que NOUS avons échoué.


Comment un jeune qui a suivi, au moins, un début de scolarité (ou parfois une scolarité entière et le début d’études supérieures) peut-il céder à ces sirènes extrémistes ? Comment un jeune élevé en France peut-il en arriver à estimer que sa sœur ne peut vivre que totalement voilée et lui est inférieure? Comment peut-il penser qu’un homosexuel doit être jeté vivant du haut d’un toit, ou un prisonnier égorgé, crucifié ou brulé vif ?


Comment ce même jeune peut-il se sentir exclu avant même d’avoir réellement commencé sa vie au point de se mettre au service d’une puissance aussi destructrice que la mouvance djihadiste ?


En ce sens, la progression du salafisme est moins une victoire de l’extrémisme qu’une défaite de la République et de la laïcité. C’est une défaite de l’Etat de droit, une défaite de l’enseignement, une défaite de notre société qui prône de grands principes mais est, trop souvent, incapable de les appliquer.


Comment avons-nous pu nous habituer, depuis vingt ans à entendre parler des « territoires perdus de la république » sans tenter de les reconquérir autrement que par la présence policière, certes nécessaire, mais qui ne règle aucun problème de fond ?


Pourquoi sommes-nous à ce point incapables d’offrir du « sens » à le jeunesse qu’une partie de celle-ci va se laisser séduire par une idéologie mortifère prônant l’exclusion et la destruction des « déviants » ?


Dans un ouvrage publié en 2016, le juriste et journaliste Karim Baouz écrivait : « La République française aime tous ses enfants nous dit-on souvent. Cela fait plus de dix ans que je fais des reportages en banlieue et franchement je n’ai pas ce sentiment. La République ne traite pas ses enfants sur un pied d’égalité. Son amour est à géométrie variable. Elle est bienveillante avec ses enfants légitimes et impitoyable avec ses enfants adultérins »[10].


La première réponse réside certainement dans un « maillage social » plus efficace et des services de « première ligne » (entre autres l’aide à l’enfance) plus proactifs, permettant de repérer plus vite les situations critiques dans lesquelles se trouvent trop de jeunes. Au plus vite on réglera ces situations et on permettra aux victimes d’échapper à la douleur et à la solitude au moins des vies seront brisées.


La deuxième réponse est éducative : l’école doit s’adapter au jeune, et pas le contraire : nombreux, sans doute, sont ceux qui pourraient s’épanouir si on détectait et cultivait leurs talents et désirs propres, leur donnant ainsi la possibilité d’exister, de voler de leurs propres ailes et d’être utiles et reconnus.


La troisième réponse est plus largement sociétale : nous devons être fiers de nos valeurs, les défendre becs et ongles mais aussi et surtout les expliquer sans relâche pour que chacun comprenne que l’Etat de droit est une protection pour tous et que la laïcité offre à chacun la possibilité de vivre sa religion (ou son absence de religion) mais n’est en aucun cas une répression du fait religieux qui, cependant, doit évidemment rester dans le domaine privé.


La quatrième réponse réside évidemment dans la mise en place de systèmes qui permettraient de « corriger » les « erreurs de jeunesse » dès leurs débuts en évitant le passage par les centres fermés voire la prison qui brisent le jeune et s’engagent trop souvent, sur une voie sans retour, ce qui implique un traitement individualisé de chaque cas par des équipes pluridisciplinaires et avec un éducateur spécialisé attribué à chaque jeune « en difficulté ».


On pourrait, pour ceux qui ont déjà franchi la ligne, s’inspirer de l’exemple des « Boot Camps » américains, inspirés par l’expérience militaire – et, le plus souvent encadrés par d’anciens militaires – pour « reconstruire » des jeunes en difficultés et leur apprendre les valeurs simples qui permettent le vivre ensemble : respect, tolérance, effort, solidarité…


Une telle approche (et elle n’est pas exhaustive, loin de là) permettrait sans doute de limiter drastiquement le nombre de jeunes attirés par l’extrémisme mais réduirait probablement aussi les dérives vers la délinquance classique ou les addictions.


Tout ceci est peut-être utopique, c’est probablement « cher », mais les traumatismes subis par la société, les centaines de vies détruites, les milliers d’autres gâchées, le coût de la « sécurisation à outrance » que l’on nous présente trop souvent comme la seule solution, le coût de la prison qui permet non pas de régler les problèmes mais d’écarter de la société et de rendre « invisibles » les « fauteurs de troubles » ne sont-ils pas plus chers encore ?


La prise en charge précoce des problèmes qui conduisent à la rupture avec la société et le « traitement », le plus en amont possible des « déviances » est certainement beaucoup moins cher, en dernière analyse, que le renoncement ou le « tout répressif ».


Enfin, quand l’irréparable a été commis, la sanction pénale doit évidemment passer. Et chacun doit comprendre qui est « la victime » et qui est « le coupable », c’est une nécessité vitale à la fois pour les victimes mais aussi pour les auteurs de faits criminels (au sens charge) si on veut qu’ils puissent, un jour se reconstruire et reprendre leur place dans la société. Mais à ce stade aussi, suivant la gravité des faits commis, il existe des alternatives et des expériences riches de sens. Comme « ces groupes de parole » qui existent en Israël et où se rencontrent, en présence de psychologues, parents de victimes d’attentats et d’auteurs de ceux-ci : chacun se rend compte qu’il a perdu son enfant. J’ai assisté à de telles réunions. C’est fort, c’est déchirant, c’est profondément humain.


On me traitera, peut-être, de naïf.


Soit, si croire qu’offrir du respect de l’amour et un avenir à l’être humain à l’âge où il se cherche et se construit est « naïf », alors oui, je suis naïf. Je l’assume.


Note : dans un proche avenir, je m’intéresserai également à la situation dans les prisons et aux programmes dits de « déradicalisation ».

[1] In Les nourritures affectives, éditions Odile Jacob, Paris, 2000. [2] La Guerre sans Visage, de Waddi Haddad à Oussama Ben Laden : les réseaux de la peur, Edition Michel Lafon, Paris, 2002. [3] C’était, en tout cas, l’avis de l’administration, mais la justice a donné raison à Ali H. [4] La tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste est punie de la réclusion criminelle à perpétuité et, en France, de manière générale, les condamnés pour faits de terrorisme vont à fond d peine ». [5] In Néo Djihadistes, Editions Jourdan, Bruxelles-Paris, 2013. [6] Ces « 5 piliers » ou exigences fondamentales sont : la profession de foi (Chahada : « J’atteste qu’il n’y a pas de divinité excepté Dieu et j’atteste que Mahomet est le messager de Dieu » ; la simple répétition de cette profession de foi par un non-musulman devant des croyants témoigne de sa conversion ), l’observance des 5 prières quotidiennes (salaf), l’aumône (zakat), le jeune du Ramadan et le pèlerinage à La Mecque (hajj). [7] En arabe, mot désignant un « incroyant ». [8] Entre autres dans Quand al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux, éditions Grasset, Paris, 2006. [9] Le salafisme « piétiste » ou « quiétiste » est la branche très majoritaire du salafisme en Europe. Contrairement au salafisme djihadiste, il ne prône pas la violence mais davantage la « séparation » (ce fameux « séparatisme que la France veut combattre par une loi qui sera bientôt en discussion) qui est vecteur de tensions sociales. Un piétiste aura le plus grand mal à s’intégrer dans le monde du travail parce qu’il refuser ,le plus souvent de travailler avec une femme et bien entendu de lui obéir, il réclamera des temps de travail adaptés à sa pratique religieuse, des espaces de prières etc, voilera sa (ses) femme(s) et filles et, bien entendu, contestera l’Etat de droit et la primauté de la loi civile et prétendra que la Sharia lui est supérieure. Ce comportement conduit à une marginalisation qui entraîne souvent la déscolarisation des enfants voire la création de communautés salafistes « rurales » ou péri-urbaines dans lesquelles se regroupent les familles partageant ces vues, tendance qui est en expansion en France [10] Karim Baouz, Plongée au cœur de la fabrique djihadiste, éditions First, Paris, 2016.

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