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Deux chefs pour la résistance armée afghane



(Ce texte a été publié, originellement, par le "Huffington Post", le 23 août 2021)

Ils sont deux, issus de la même région, le Panshir, et de la même ethnie tadjike, l’un a pour lui une longue expérience à la tête des services de sécurité afghans et l’autre, l’héritage d’un père devenu une icône de la lutte contre les Taliban. Ils divergent aujourd’hui sur la stratégie, mais seront condamnés à s’entendre : Ahmad Massoud et Amrullah Saleh incarnent d’ores et déjà la résistance armée au nouveau régime.


Alors que la griffe des Taliban se resserre sur l’Afghanistan et près de vingt ans jour pour jour après l’assassinat de son père, Ahmad Shah Massoud, tué le 9 septembre 2001 par des terroristes d’al-Qaïda recrutés en Belgique et commandités par Oussama Ben Laden, Ahmad Massoud, âgé de 31 ans, se livre à une démonstration de force destinée aussi bien aux Taliban qu’à d’éventuels soutiens occidentaux dans la vallée du Panshir, qui fut, dans les années où il résistait - d’abord aux soviétiques (1979-1989) puis aux milices islamistes radicales (1989-1994) et, enfin, aux Taliban (1994-2001) - le fief de celui que l’on surnommait alors « le Lion du Panshir ».


L’élimination d’Ahmad Shah Massoud, deux jours avant les attentats du World Trade Center et du Pentagone, était un « cadeau » d’al-Qaïda au régime en place à Kaboul qui le protégeait depuis plusieurs années. Oussama Ben Laden avait bien anticipé la tempête qui allait se lever après le 11 septembre et, en éliminant le principal chef de guerre opposé aux Taliban, il misait sur le code de l’honneur pachtoune qui leur interdirait de le livrer aux Américains. Son calcul était juste : les Taliban ne cédèrent pas et, le 7 octobre 2001, débutaient l’Opération « Enduring Freedom-Afghanistan » (OEF-A) et, par la même occasion, la plus longue guerre menée à ce jour par les Etats-Unis et l’Otan.


Vingt ans plus tard, alors que l’offensive éclair des Taliban a fait chuter, dans un Blitz final de dix jours, le régime faible et corrompu en place à Kaboul, et que les Taliban imposent leur pouvoir sur le pays, l’histoire semble balbutier et c’est dans la même vallée du Panshir que le fils du défunt commandant Massoud entend incarner la résistance à la tête du Front National de la Résistance (FNR).


Dans une interview à l’AFP, le porte-parole du Front, Ali Maisam Nazar, déclarait le 21 août que son organisation se préparait à un « conflit de longue durée ». La même agence a pu, par ailleurs, filmer quelques-uns des 9000 combattants qui seraient regroupés dans la vallée et leur équipement.


Mais alors que l’opposition s’est manifestée, jusqu’à présent, par de petites manifestations à Jalalabad (où au moins 5 personnes auraient été abattues lorsque les milices talibanes ont ouvert le feu sur quelques centaines de protestataires) et à Kaboul, où des femmes se sont rassemblées pour réclamer la possibilité de continuer à travailler et défendre des droits qui sont l’un des principaux acquis de ces vingt années de guerre, la démonstration des combattants d’Ahmad Massoud-Fils est également un test de « l’ouverture » que les Taliban prétendent aujourd’hui vouloir défendre.


Le FNR, conscient des rapports de forces qui lui sont défavorables, n’entend pas se lancer à l’assaut de la capitale et se contente, pour le moment, de réclamer un système fédéral : «la décentralisation » et « un système qui garantisse la justice sociale, l'égalité, les droits et la liberté pour tous».


La division des forces ayant toujours été un « exercice » dans lequel excellaient les dirigeants modérés afghans, le principal concurrent de Massoud sera Amrullah Saleh, ancien vice-président, qui fut, de 2004 à 2010, le chef du NDS (National Directorate Of Security), les services de renseignement et de sécurité afghans et, à ce titre, l’un des plus farouches opposants aux Taliban.


Les deux hommes sont pourtant relativement proches : Saleh, aujourd’hui âgé de 48 ans, fut un membre de l’Alliance du Nord et un proche de Massoud-père. Mais ceci ne les empêche pas de diverger sur la stratégie à adopter : l’ancien chef de la sécurité est également un ennemi déclaré du Pakistan qu’il accuse, non sans raisons, d’être le principal soutien des Taliban alors que Massoud souhaite aujourd’hui ménager Islamabad qui, depuis des décennies, tire les ficelles dans les coulisses afghanes.


Si Ahmad Massoud est une figure respectée dans le Panshir, son jeune âge et son manque de soutiens en dehors de sa région en font un homme qu’il est difficile d’imaginer à la tête d’une résistance réellement nationale - rendue de plus particulièrement difficile par la nature multi-ethnique du pays. Amrullah Saleh, en revanche, jouit d’une influence qui dépasse la minorité tadjike, il peut compter, dans tout le pays, sur une partie des anciens réseaux des services de renseignement et a une bonne image à l’étranger : à la tête du NDS, il a forgé des contacts de poids avec les services de renseignement américains, britanniques, français et allemands et s’est fait apprécier non seulement dans la lutte contre les Taliban et les réseaux terroristes internationalistes présents sur le sol afghan mais également par ses prises de position contre la corruption endémique qui explique, en partie, le peu d’empressement de l’ANA (Armée Nationale Afghane) à combattre ces dernières semaines et la chute de Kaboul. Enfin, les diplomates afghans en poste à l’étranger qui ont refusé de se rallier au nouveau régime le reconnaissent comme le nouveau président « par intérim » du pays.


Par ailleurs, les deux hommes devront, de toute façon, s’entendre pour partager l’éventuel soutien en armes et en moyens humanitaires qui pourrait être envoyé vers le Panshir si le choix est fait de soutenir l’opposition armée.


Dans un premier temps, leur objectif est « modeste » : sanctuariser le Panshir pour y protéger la population et les milliers de réfugiés intérieurs qui y affluent pour fuir le nouveau pouvoir, mais si, comme c’est probable, les Taliban refusent de négocier, ils n’auront d’autre choix que de passer à l’offensive.


Or, au vu de ce que l’on sait de ce qui s’est passé ces dernières semaines dans les zones contrôlées par les Taliban, et, ces derniers jours, à Kaboul, où une véritable chasse a été lancée contre les anciens hauts fonctionnaires du régime, les membres des services de sécurité, les intellectuels, les journalistes et les militantes féministes, il est plus que permis de douter de la « bonne volonté » affichée par les nouveaux maîtres de l’Afghanistan où rien n’indique que les armes soient prêtes à se taire.

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