Fariba Adelkhah, universitaire française détenue à Téhéran, n’est rien de plus qu’une otage en vue d’obtenir la libération sans procès d’un diplomate iranien détenu en Belgique pour terrorisme…
Ceux qui sont habitués à traiter des affaires iraniennes, surtout quand elles touchent le renseignement et la sécurité savent que la vérité, dans le régime des mollahs, est le plus souvent, enrobée des voiles du mystère. L’arrestation de la Franco-iranienne Fariba Adelkhah, à Téhéran, à la mi-juin illustre bien cette réalité.
Mais, d’abord, intéressons-nous au contexte « visible ».
On le sait, la répression qui touche les femmes iranienne participant au mouvement de contestation du port obligatoire du voile, ne faiblit pas, en Iran.
Depuis plusieurs années, maintenant, des femmes retirent publiquement leur voile dans les rues des grandes villes, parfois accompagnées de leur mari, compagnon ou d’amis de sexe masculin. Dans certains cas, des photographies de femmes dévoilées, posant aux côtés d’hommes portant le voile, par dérision et provocation ont même été publiées sur les réseaux sociaux (auxquels, pour Twitter et Facebook, en tout cas, les Iraniens n’ont pas d’accès direct mais doivent passer par un VPN qui protège leur anonymat). Leur courage est énorme et j’y reviendrai certainement dans un avenir proche, mais ce n’est pas le sujet de ce billet.
La répression, donc, est au rendez-vous. De nombreuses femmes ont été condamnées à des peines de prison et, par exemple, l’avocate Nasrin Sotoudeh purge une peine de 33 années de prison (assortie de 147 coups de fouet !!) pour avoir défendu certaines de ces inculpées.
Dès lors, l’arrestation de l’universitaire franco-iranienne Fariba Adelkhah, d’abord passée inaperçue et révélée par des journaux de l’opposition iranienne à l’étranger, à la mi-juillet n’a pas surpris.
Fariba Adelkhah, née à Téhéran en 1959, et ayant étudié en France, a soutenu en 1990 une thèse intitulée « Une approche anthropologique de l'Iran post-révolutionnaire. Le cas des femmes islamiques. » On sait que le régime des mollahs traite les iraniens double-nationaux comme ses propres ressortissants et leur refuse même l’assistance consulaire du pays de leur autre nationalité. Si Madame Adelkhah s’est intéressée de trop près au mouvement des femmes, il est assez logique, en tout cas pour le régime, qu’elle soit accusée « d’espionnage ».
Ici intervient un deuxième degré de lecture.
Certains médias français, comme L’Obs, ont cru discerner, dans l’absurde accusation portée contre Madame Adelkhah, une tentative de pression contre la France, afin que celle-ci use de son influence pour combattre les sanctions économiques voulues par Washington et qui mettent l’économie perse à genoux. Une hypothèse assez absurde :la France est perçue, à Téhéran, comme étant, avec l’Allemagne, l’un des deux pays occidentaux "les moins hostiles" au régime (ce qui est un euphémisme). Par ailleurs, la France est déjà très active dans ce dossier, à la grande colère de Donald Trump (voir ici ). Enfin, c’est prêter bien trop d’influence à Paris.
La réalité de la situation, maintenant.
Telle qu’elle me revient d’amis bien placés en France et en Belgique, la réalité est très différente et bien plus sinistre.
Un retour en arrière est nécessaire pour bien comprendre les enjeux de cette affaire. Le 30 juin 2018, à la suite d’une importante opération de renseignement coordonnée entre plusieurs pays – la Belgique, la France, l’Allemagne et un petit pays bordant la Méditerranée et allié à l’Occident…) étaient arrêtés à Bruxelles deux Iraniens installés en Belgique de longue date. Dans le coffre de leur voiture, on trouvait une bombe et son dispositif de mise à feu. Le tout en parfait état de marche et « prêt à l’emploi » : il suffisait s’assembler la charge et le détonateur. Il était, très rapidement, établi que les deux Iraniens étaient des agents dormants du MOIS (Ministry of Intelligence and Security, en persan : Vezarat-e Ettela'at Jomhuri-ye Eslami-ye Iran, la tentaculaire agence iranienne coordonnant les activités de renseignement étranger, de subversion, de répression et de de soutien au terrorisme de Téhéran). Ils avaient été activés pour aller frapper, à Paris, le meeting annuel de la résistance iranienne liée aux Moudjahidines du peuple, auquel assistent, traditionnellement, de nombreuses personnalités venues du monde entier. Le recours au terrorisme d’Etat par Téhéran (une pratique habituelle du régime) en dit long sur l’état dans lequel il se trouve, mais j’y reviendrai dans un autre post).
Dans le cadre de cette enquête, un diplomate iranien en poste à Vienne, Assadollah Assadi, était arrêté en Allemagne (où son immunité ne le couvrait pas) et remis, après plus de trois mois de bataille, à la Belgique où il est actuellement détenu. Assadi, un officier supérieur du MOIS, est en poste sous statut diplomatique à l’ambassade iranienne de Vienne d’où il gère les activités du service en Europe.
C’est, pour Téhéran, une véritable catastrophe : c’est la première fois qu’un diplomate iranien est arrêté et inculpé dans une affaire de terrorisme en Europe. S’il paraît au procès, les méthodes de son service seront exposées et s’il est condamné, ce sera un véritable séisme dont la diplomatie iranienne pourrait bien ne jamais se remettre.
C’est ici qu’intervient, bien malgré elle, Madame Adelkhah : en l’arrêtant sous des prétextes fantaisistes, le régime pense disposer d’un levier puissant contre Paris, permettant de faire pression sur la France, afin que celle-ci, à son tour, obtienne de la Belgique l’élargissement d’Assadi. Avant le procès.
Du point de vue occidental, cette manœuvre peut sembler surréaliste et vouée à l’échec. Mais Téhéran pense différemment. Depuis quarante ans, L’Iran s’est habitué à la docilité de l’Europe (mis à part la Grande-Bretagne avide d’accéder aux marchés iraniens, peu regardante sur les droits de l’homme quand il s’agit de business et facile à effrayer. Les mollahs savent que, la France en particulier ne résistera pas longtemps. Il y a, au moins, deux précédents : la crise des otages du Liban et les attentats de Paris, en 1985-1987, suite auxquels Paris s’est lamentablement couché devant les exigences iraniennes, et les pitoyables tractations qui ont suivi l’assassinat de Chapour Bakhtiar. Le 18 mai 2010, Ali Vakili Rad, un agent du MOIS condamné à la perpétuité pour cet assassinat, avait été libéré deux jours après la libération de l’étudiante française Clotilde Reiss, détenue à Téhéran.
On remarquera – est-ce un hasard ? - qu’en juin, lors d’un « Conseil de défense », qui réunit chaque semaine, les principaux acteurs de la sécurité autour du chef de l’Etat, la DGSE (services de renseignement extérieurs) s’est vu intimer l’ordre « de mettre en sourdine leurs inquiétudes sur ce qu’ils qualifient de « terrorisme d’Etat » de Téhéran » (Le Monde, 31 juillet 2019).
Face à une telle attitude de Paris, Téhéran ne peut que penser qu’accentuer la pression permettra d’éviter le pire…
Mais, si Paris se couche à nouveau, ce sera - outre la totale immoralité de cette attitude - une mise en danger de tous les ressortissants français (en particulier les Franco-Iraniens) qui pourraient, à chaque fois que Téhéran souhaite obtenir quelque chose de la France, se retrouver dans les sinistres geôles du régime...