Robert Desnos était un homme libre. Né en 1900, fils de commerçant, ayant grandi dans le quartier, aujourd’hui disparu, des Halles, ce "ventre de Paris", décrit par Zola dans le troisième volume des Rougon-Macquart, il fut poète, journaliste, écrivain et résistant. Et, surtout, témoin d’une époque tragique.
Mauvais élève, le petit Robert (jeu de mots tout à fait involontaire mais qui, peut-être, lui aurait plu…) s’ennuie copieusement sur les bancs de l’école et préfère dessiner, et lire : Hugo, Baudelaire, mais aussi Jules Verne ou les feuilletonistes Emile Gaboriau et Eugène Sue, il dévore littéralement les ouvrages qui lui passent entre les mains.
Il quitte l’école à seize ans et enchaîne les métiers plus médiocres les uns que les autres, mais, surtout, il commence à être écrire et parvient, en parfait autodidacte, à être publié dans de petites revues marginales. Après un service militaire effectué aux colonies – c’était un autre temps…- il rentre à Paris et se lie avec les dadaïstes (qui veulent débarrasser l'art de toute contrainte ), les Surréalistes et l’avant-garde de l’époque : Raymond Radiguet – qui sera emporté à vingt ans par la fièvre typhoïde après avoir écrit deux livres flamboyants, Le Diable au corps et Le Bal du comte d’Orgel - Louis Aragon - profondément marqué par son expérience de brancardier sur le front - , André Breton - véritable fondateur du courant surréaliste et ancien camarade d'études d'Aragon en médecine, au Val-de-Grâce - Tristan Tzara - chef de file du dadaïsme -, Philippe Soupault - qui est déjà un journaliste très en vue - , le Suisse Blaise Cendrars (qui, volontaire dans la Légion étrangère, avait été amputé du bras droit en 1917…), Paul Eluard - qui, traumatisé par la guerre vient de publier son premier recueil, "Poèmes pour la paix" - ou encore les peintres André Masson, Foujita ou Joan Miro.
Cette bouillonnante entre-deux guerre – qui, sur le plan artistique est probablement sans égale – c’est l’époque où Montparnasse brille de tous ses feux et attire écrivains, aventuriers et créateurs. On y croise des Français bien entendu, mais aussi des Américains, des Italiens, quelques Espagnols et tant d’autres qui vont d’un bar à l’autre, s’essayent à l’opium, sautent de lit en lit et écrivent ou peignent jusqu’à en perdre la raison. Entre La Coupole, La Rotonde et Le Select, rôde jour et nuit (surtout la nuit, à vrai dire…) toute une faune étrange qui défie la bien-pensance et la « Bourgeoisie », invente de nouveaux codes et ne sait pas encore qu’elle sera elle-même, un jour, une véritable caste.
Devenu journaliste (à Paris-Soir, qui tirera jusqu’à 1,8 millions d’exemplaires, chose inimaginable aujourd’hui) il est sans illusion pour cette profession dont le principal avantage est de le nourrir : "Un journal s'écrit-il avec de l'encre ? Peut-être, mais il s'écrit surtout avec du pétrole, de la margarine, du ripolin, du charbon, du caoutchouc, voire ce que vous pensez… quand il ne s'écrit pas avec du sang !"
Partageant la vie de Youki, ancien modèle et maitresse de Foujita, il écrit essentiellement, dans journaux et revues, sur le cinéma et la peinture puis devient homme de radio, média en pleine expansion. A la fin des années vingt, le poète-journaliste rompt avec les Surréalistes, dont beaucoup (Breton en premier) l’accusent de "faire du journalisme" plutôt que de la littérature mais qui, surtout, adhèrent massivement au Parti communiste, ce à quoi Desnos au nom de la liberté de créer se refuse violement. A Philippe Soupault, lui aussi exclu du mouvement, les mêmes reprocheront de faire "trop de littérature". Aragon et ses amis vont donc, pour quelques années du moins, se conformer aux tristes canons du réalisme socialiste. Desnos, lui, en homme libre, continue sa trajectoire: poète, critique, chansonnier, scénariste, rédacteur publicitaire, aucun domaine de l'écriture ne lui est étranger.
Militant antifasciste à la fin des années trente - au printemps 1936, il avait adhéré au Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes, c’est tout naturellement – et pour "l'inestimable satisfaction d'emmerder Hitler" qu’il entre en Résistance.
Il sera membre du réseau AGIR qui renseigne l’Intelligence Service et livrera des informations capitales à Londres, entre autres sur la localisation des bases de lancement des V1 dans le nord de la France.
Arrêté le 22 février 1944, il est déporté à Buchenwald le 27 avril, sur intervention personnelle du journaliste collaborateur Alain Laubreaux (en 1980, Laubreaux sera représenté sous les traits du critique Daxiat dans Le Dernier Métro, de François Truffaut): il haïssait depuis des années le poète qui l'avait publiquement giflé au Harry's Bar . L'incident était pourtant loin d'être unique dans la carrière de Laubreaux: il avait eu droit au même traitement de la part de Jean Marais qui lui reprochait une vulgaire allusion à sa liaison avec Jean Cocteau. Le dénonciateur, condamné à mort par contumace en 1947, mourra en exil à Madrid en 1968.
Le sort de Desnos sera plus tragique: il passe de camp en camp pour échouer à Theresienstadt où il meurt du typhus le 8 juin 1945, un mois, jour pour jour, après la libération du camp par l’Armée rouge.
Lors du retour de ses cendres, en octobre 1945, Paul Eluard écrira : "La poésie de Desnos, c'est la poésie du courage. Il a toutes les audaces possibles de pensée et d'expression. Il va vers l'amour, vers la vie, vers la mort sans jamais douter."
Un mois plus tôt, Aragon lui avait dédié la "Complainte de Robert le Diable" :
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent
Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux
Au-delà de la mort, ses amis surréalistes lui tendaient une dernière fois la main.