Il y a parfois, en politique, des instants, comme ça, qui sont de véritables « moments de grâce ». Inattendus et exceptionnels. Stupéfiants et poignants. Nous avons eu la chance d’en vivre un, le 15 janvier, avec le lancement du Grand débat, à Grand Bourgtheroulde, dans l’Eure.
D’un côté, 653 maires de la région Normande. De l’autre un homme seul, le Président de la République. Dans la salle ceux qui, au plus près, incarnent la politique du quotidien et sont au contact de la réalité et en son centre l’homme que la France a choisi pour la guider dans les cinq ans qui viennent, celui qui doit imaginer, réformer, diriger...
Dire qu’Emmanuel Macron était « attendu au tournant » à cette occasion, serait un doux euphémisme. Depuis le début de la crise des Gilets Jaunes, on le disait terré à l’Elysée, évitant les sorties, « bunkérisé », « largué », usé et pour tout dire « fini ». Jean-Luc Mélenchon n’était pas le seul grand démocrate à asséner, au mépris de ce qui signifient les mots « suffrage universel », que « la révolution » était en marche et qu’il fallait qu’il « dégage » : au « Rassemblement national » et chez « Debout la France », bref dans ces milieux où l’on souhaiterait tant jouer un troisième round d’une élection présidentielle perdue, on était au diapason. Les mots étaient les mêmes et identique était la volonté d’imposer la loi de la rue.
Puis il y eu cette réunion du 15 janvier…
Il y a d’abord, bien entendu, cette performance presque artistique : sept heures de discussion, un homme face à plus de six cents autres, sans notes, debout, posé, précis maitrisé, avec une totale connaissance des dossiers, des faits et des chiffres. Un exploit physique et intellectuel qui nous rappelle que sa jeunesse est, avec une intelligence acérée, l’un des atouts du président et que c’est cela aussi qui nous a séduit en 2017.
Il y a, ensuite, le fond : souvent souriant, Emmanuel Macron a répondu, sans interdit et sans tabous aux questions de maires qui ne lui étaient pas tous favorables, bien loin de là. Un véritable échange, un dialogue. Avec du respect, de la pondération, de la raison de part et d’autre. Bref ce à quoi on ne croyait plus depuis dix semaines d’éructations, de théories du complot et de négation de la démocratie.
Jamais, dans toute l'histoire de la Cinquième République (et même avant), un Président ne s'était livré à un tel exercice - j'ai envie d'écrire "à une telle performance" - et je n'ai aucun souvenir d'en avoir vu de semblable à l'étranger.
Alors, bien entendu, passé le premier moment de stupeur, les critiques sont tombées : « Il n’écoute pas, il impose sa vision des choses », « C’est un show », « C’est sur les ronds-points, avec les Gilets Jaunes qu’il aurait dû dialoguer », « Le public, trié sur le volet, lui était acquis », « C’était de l’entre-soi », Etc. Toujours le même disque rayé. Toujours les mêmes arguments qui évitaient, soigneusement, d’aborder le fond des choses. Jusqu’à la nausée.
On pourrait répondre que non, Emmanuel Macron, « n’impose pas » son point de vue : simplement, élu sur un programme de réformes clair et sans concessions, il défend sa position, explique que certaines demandes sont irréalistes mais que d’autres seront prises en considération ; que non, ce n’était pas de « l’entre soi » : beaucoup des maires présents n’appartenaient pas au cercle des privilégiés et des « élites » du pouvoir ; que non, le public n’était pas « trié sur le volet » : il y avait des maires de gauche, de droite ou sans étiquette. Il suffisait d’ailleurs d’entendre leurs questions pour comprendre que beaucoup n’étaient pas des amis politiques du Président. Mais cela ne servirait à rien : pour ses détracteurs si Emmanuel Macron se tait, il a tort et s’il parle, il ne peut avoir raison : Emmanuel Macron, par définition, a toujours tort : cela ne se discute pas. C’est un axiome. Dont acte.
On se contentera donc de dire que ce moment d’échange - qui, espérons-le, augure d’un Grand débat d’excellent niveau - fait honneur à la France et que, ce soir-là, lorsque, au-delà des divergences, 653 maires se sont levés pour applaudir le Président et marquer ainsi non pas leur adhésion à son programme mais leur respect pour la fonction et pour l’homme qui avait accepté un dialogue difficile, nous étions fiers d’être français. Et cela, par les temps qui courent, ce n’est pas rien.
A l’heure ou populisme et extrémisme d’en donnent à cœur joie et piétinent nos institutions, à l’heure où tous les « ennemis du système » se liguent pour tenter, pathétiquement, de rejouer le scénario du 6 février 1934, c’est la raison et le respect qui se sont manifestés. Et l’intelligence. Et la sincérité. Des deux côtés, bien évidemment.
Cette journée du 15 janvier est à marquer d’une pierre blanche : c’était de la « politique », au sens le plus noble du terme. Souhaitons seulement que ce ne soit là que le début du retour en force des valeurs républicaines.