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Catalogne : Barcelone et Madrid au bord du gouffre


La crise créée par la volonté du gouvernement catalan d’organiser un référendum sur l’indépendance a pris, ces dix derniers jours un tour catastrophique qui menace désormais la stabilité du pays. En cette soirée du 4 octobre, alors que l’on attend que le gouvernement régional déclare, comme il l’a annoncé, l’indépendance et proclame la République de Catalogne, le compte à rebours est enclenché.

Je ne reviendrai pas sur les origines de la crise. Elles sont connues : avec le Pacte National pour le Référendum, (Pacte Nacional pel Referèndum en catalan) créé le 23 décembre 2016, la coalition au pouvoir sous la présidence de Carles Puidgemont a clairement annoncé la couleur ; le gouvernement espagnol a dénoncé une décision illégale et, par deux jugements rendus le 7 et le 12 septembre (ce dernier étant définitif), le Tribunal constitutionnel de Madrid lui a donné raison.

Jusque-là, rien n’était vraiment grave : une logique politique (la volonté indépendantiste d’une partie de la société catalane), et une logique juridique (l’inconstitutionnalité du référendum) s’opposaient. Il restait possible, malgré tout, pour Madrid, de gérer les choses en douceur. On imagine par exemple que des huissiers auraient pu être envoyés dans les bureaux de vote pour constater la tenue d’une consultation illégale et ouvrir ainsi la voie à un contentieux. Dans le même temps, le gouvernement madrilène aurait pu agir intelligemment en soulignant qu’en se séparant de l’Espagne, la Catalogne quitterait ipso facto l’Union européenne et qu’elle n’aurait jamais la chance d’y entrer, malgré ce que disent les dirigeants indépendantistes : il aurait fallu, en effet, introduire une demande d’adhésion et celle-ci devant être acceptée à l’unanimité, on comprend bien que, l’Espagne étant toujours membre de l’UE, c’était impossible. Il y avait là un argument de poids qui aurait pu faire réfléchir plus d’un électeur. Les études d’opinions montrent en effet que dans la perspective d’une sortie de l’Union, l’adhésion aux thèses indépendantistes passerait de 41% à….20%.

Mais il n’en pas été ainsi. Madrid a choisi la voie de la force. Ce faisant, elle nous a imposé des images et des symboles que l’on ne peut accepter en Europe, union politique bâtie sur une communauté de valeurs démocratiques.

Le 20 septembre, donc, un juge d’instruction déclenchait l’Opération Anubis (un psychanalyste devrait s’intéresser au choix de ce nom : Anubis, dieu des rites funéraires et de la mort dans l’ancienne Egypte….). La police lançait aussitôt une vague de perquisitions et d’arrestations touchant des ministères des entreprises liées à l’organisation de la consultation, des institutions culturelles et des médias faisant la « propagande »du référendum. Le 23 septembre, le gouvernement espagnol plaçait les Mossos d’Esquadra (la police catalane) sous le contrôle direct du ministère de l’Intérieur et plaçait la Garde civile au cœur du dispositif. Le 1er octobre, jour du vote, la Garde civile se faisait remarquer par sa violence : 893 blessés. L’image de policiers matraquant des personnes âgées, armées seulement d’un bulletin de vote est terrible. Révolutions et rebellions se nourrissent de symboles, celui restera, soyons en certains. En offrant aux indépendantistes un dimanche noir, Madrid a sans doute plus fait pour leur cause que des années de propagande….

Passons aux questions essentielles.

Existe-t-il des racines historiques et culturelles à la volonté d’indépendance d’une partie de la société catalane ?

La réponse est indiscutablement « oui ». Jusqu’en 1715, la Catalogne a connu soit l’indépendance soit des périodes marquées par une importante autonomie; entre 1931 et 1939, lors de la Seconde République espagnole et durant la guerre civile la Généralité de Catalogne avait acquis une quasi indépendance à laquelle la victoire de Franco mettra fin en 1939. Depuis la restauration de la démocratie, l’idée indépendantiste a toujours été présente au cœur du débat politique catalan et n’a cessé de se renforcer. Du point de vue culturel, la langue catalane, est revendiquée (en 2008) comme « maternelle » par 31,6% de la population, comme « d’identification » par 37,2% et comme « usuelle » par 35,6%. Il convient de leur ajouter les 12% de Catalans qui affirment que catalan et castillan sont leurs deux langues usuelles : environ 48% de la population utiliseraient donc le catalan comme langage véhiculaire. Cela ne fait pas une majorité mais c’est très important.

Existe-il une majorité pour l’indépendance en Catalogne ?

Il est difficile de répondre à cette question de manière précise et univoque. Il importe, en fait, de distinguer la scène politique et la société. Au plan politique, les élections de 2015 ont donné aux partis indépendantistes une majorité de sièges au parlement régional (72 sur 135) mais ils n’ont pas recueilli la majorité des suffrages (47,8%). On remarque cependant que les partis catalans clairement favorables à l’union avec l’Espagne ne recueillent, eux, que 39,5% des voix…. Quant à la société, s’il s’était déroulé dans des conditions correctes, le référendum de dimanche aurait constitué, à minima, un sondage intéressant. Cela n’a pas été le cas : 300 à 400 bureaux de votes ont été purement et simplement fermés ou n’ont pu fonctionner normalement et environ 770 000 bulletins de votes remplis auraient été saisis par la police. Les résultats annoncés sont invérifiables et n’ont donc qu’une valeur vaguement indicative : 90% de 42% d’électeurs ayant pu voter se sont déclarés pour le « oui ». On remarquera que, bien évidemment, ce sont les plus convaincus, voire les plus militants qui se sont déplacés et que, par ailleurs, sur une dizaine de sondages réalisés entre janvier et septembre 2017, seuls trois donnaient le oui vainqueur ; les 7 autres lui accordaient entre 39 et 44,1% % et les taux d’abstentionnistes et d’indécis s’échelonnaient respectivement de 3 ,9% à 28,6% et de 5,9% à 14,47%.

Difficile de dire, donc, si le oui l’aurait emporté. Seule (quasi) certitude : la violente répression des jours qui ont précédé le référendum et du jour du vote ont très probablement fait pencher la balance du côté de l’indépendance.

Mardi soir, enfin, s’exprimait le Roi Felipe VI. On attendait (on espérait) un discours d’apaisement ouvrant la voie à un dialogue politique. Il n’en a rien été : le souverain (dans une déclaration rédigée par son Premier ministre, les pouvoirs qui lui sont dévolus par la constitution étant quasiment inexistants) a fustigé des dirigeants catalans « s’étant placés en marge de du droit et de la démocratie » et « mettant en danger la stabilité de la catalogne et de toute l’Europe ». Le train de la crise ne s'est donc pas arrêté à la dernière station avant l'abîme.

Dès lors que va-t-il se passer ?

Si Barcelone proclame bien son indépendance sous forme de République, Madrid devrait répondre en utilisant l’article 155 de la Constitution qui suspend le gouvernement et le parlement régional pour 6 à 12 mois. Mais comme les autorités catalanes ne reconnaîtront plu l’autorité de l’Etat central, cette décision n’aura d’effet que si elle peut être imposée par la force. C’est donc dans une véritable logique insurrectionnelle que l’on entrerait alors. Et tout serait à craindre si l’on se rappelle que Barcelone dispose d’une police armée d’environ 21 000 hommes qui, bien que divisée, se rangera sans doute en partie derrière le pouvoir local.

Si ce pas est franchi, l’Espagne entrera bel et bien dans sa plus grave crise depuis la fin du franquisme en 1975-1976 puis la restauration de la démocratie en 1978.

Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir...

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