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Ukraine : copier/coller, vieilles rengaines et ignorance des réalités

La Révolution (avec un « R » majuscule) ukrainienne a eu raison du dictateur. L’infâme Ianoukovytch est tombé. Ce détestable Poutine a reculé devant un peuple jeune, courageux, épris de liberté, prêt à tous les sacrifices et soutenu (mais d’un peu loin, soyons honnêtes) par l’Europe et les Etats-Unis. C’est une victoire majeure de la démocratie et du droit-des-peuples-à-disposer-d’eux-mêmes conjugués à laquelle on vient d’assister à Kiev.

Les discours qui fleurissent, depuis quelques jours, dans les médias et dans la bouche des politiques ne vous rappellent rien ? Vraiment ? Mais oui : c’est un « copier/coller » assez spectaculaire des discours qui foisonnaient aux débuts du « Printemps arabe », il y a un peu plus de trois ans. Nous étions bien peu à l’époque à nous étonner de cette unanimité et à souligner que les lendemains ne chanteraient peut-être pas tant que ça. Et nos propos étaient accueillis par un méprisant silence.

On me pardonnera (ou pas) de jouer les Cassandre, mais la « révolution de Kiev » et la manière dont, une fois de plus, éditorialistes, ministres et autres « droits-de-l’hommistes » prennent leurs désirs pour des réalités m’inquiètent.

Des démocrates, les miliciens de Pravyi Sektor, de l’UNA-UNSO, de Svoboda, de Tryzub et autres « Marteau Blanc », ces groupes qui, place Maïdan, durant des semaines ont joué un rôle central dans les actions violentes contre la police ? J’en doute. Que l’on gratte un peu et sous leurs uniformes, derrière leurs drapeaux évocateurs et dans leurs slogans prônant la « purification » de l’Ukraine, on trouvera les ultranationalistes antisémites admirateurs de Stepan Bandera[1]. Est-ce d’ailleurs un hasard si une synagogue a été incendiée, dans la soirée du dimanche 23 février, à Zaporizhia, à l’est de Kiev ? Il n’y a pas de fête réussie en Ukraine sans qu’on casse du juif. Vieille tradition, sans doute.

Sympathiques et prometteuses ces scènes où l’on force des policiers anti-émeute à se mettre à genoux et à multiplier les signes de croix pour demander pardon ? Chacun en jugera.

Mais surtout, ceux qui tirent aujourd’hui des plans sur la comète et rêvent d’une Ukraine « européenne » devraient se rappeler une règle intangible de la géopolitique : un pays ne choisit pas ses voisins. Et n’en change pas.

Lorsque l’émotion sera retombée, lorsque les rêves s’évanouiront et lorsque Kiev ne recevra pas les 15, 20 ou 30 milliards d’Euros indispensables pour éviter la banqueroute, la réalité réapparaîtra. Et la réalité, qu’on le veuille ou non, c’est que la Russie sera toujours le grand voisin oriental de l’Ukraine, qu’il y aura toujours une vingtaine de pourcents de Russes sur les 45 millions d’habitants du pays et que la Crimée (qui, elle, est « russe » à 60 ou 70%) abritera toujours, à Sébastopol, la Flotte russe de la Mer Noire, une force militaire essentielle à la puissance de Moscou et à son éventuelle projection. Et l’Ukraine exsangue se chauffera toujours avec du gaz Russe.

On peut le regretter. On peut maudire le destin, on peut nier les faits. Mais ils sont là. Et ils imposent une conclusion simple : jamais la Russie n’acceptera que l’Ukraine diverge trop d’elle et mène une politique totalement indépendante. Un peu d’autonomie, oui, mais dans des limites certaines : c’est ainsi que l’on voit, à Moscou, l’avenir de Kiev. Et ce n’est pas l’impérialisme, c’est simplement la défense bien comprise des intérêts de la Russie par des dirigeants russes que l’on aime ou pas mais qui sont précisément là pour ça : défendre les intérêts de leur pays.

Penser le contraire serait de la naïveté. En politique internationale, la naïveté conduit à l’impasse. Ou au désastre.

[1] Stepan Bandera (1909-1959) est un dirigeant nationaliste particulièrement controversé. Certains de ses partisans ont mené des actions armées à la fois contre les nazis et contre l’armée rouge, d’autres ont purement et simplement embrassé la cause allemande pour combattre les « Russes ». Bandera lui-même créera la Légion Ukrainienne, intégrée aux forces nazies. Ses partisans se sont livrés, entre 1941 et 1945, à de nombreux pogroms contre les juifs et à des massacres de Polonais. Bandera est aujourd’hui considéré comme un héros en Ukraine.

Publié sur www.esisc.org

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